Cyril Wolmark (Avril 2001)
Doctorant en droit à l’Université Paris X-Nanterre,
IRERP.
Depuis 1995, une législation restrictive tente de réduire drastiquement le nombre de médecins à diplôme étranger exerçant à l’hôpital en les maintenant dans un statut de seconde zone. Or, leur importance dans le système hospitalier n’est plus à démontrer et les fonctions qu’ils y exercent sont là pour témoigner de leur compétence. Cette compétence et cette expérience devraient désormais être reconnues, comme vient de le faire la Cour de justice des Communautés européennes.
Les médecins à diplôme étranger ont toujours
été considérés par le droit comme des médecins
de seconde zone. Ils ne peuvent s’installer « en ville » et
n’ont pas accès aux statuts classiques de l’hôpital. En revanche,
ils participent au service public hospitalier sous couvert de statuts spéciaux
et précaires. Au regard de leur importance dans le fonctionnement
quotidien des hôpitaux, on comprend vite que toute loi visant à
réduire le nombre de ces médecins constitue en même
temps une atteinte au service public hospitalier.
C’est en 1995 que la première tentative d’éviction des
médecins à diplôme étranger de l’hôpital
a eu lieu. La loi du 4 février 1995 plongeait ses racines politiques
dans les velléités de réduction du budget de la santé
publique et dans un contexte juridique xénophobe. Elle se présentait,
à l’image de bien d’autres lois attentatoires aux droits des immigrés,
comme une loi d’intégration, celle des médecins à
diplôme étranger à l’hôpital. L’intégration,
masque affable de l’exclusion. Un examen même rapide de cette loi,
composée de deux volets principaux, fait tomber le masque.
Premier volet : la loi crée un nouvel examen pour un nouveau
statut, celui de praticien adjoint contractuel (PAC). Pour avoir le droit
de se présenter à cet examen, les médecins à
diplôme étranger doivent avoir exercé pendant au moins
trois ans certaines fonctions hospitalières, dans des conditions
strictes et déterminées. Le statut de PAC n’autorise à
exercer qu’à l’hôpital. Comme leur nom l’indique, les praticiens
adjoints contractuels ne sont pas titulaires mais contractuels. Ils ne
bénéficient donc pas de la stabilité attachée
aux autres postes hospitaliers réservés aux médecins
français à diplôme français.
Second volet : la loi interdit le recrutement à l’hôpital
de tout médecin à diplôme étranger qui n’a pas
réussi l’examen PAC. Dans les premiers mois d’application de la
loi, il semblait bien que tous les autres médecins se verraient
interdits d’exercice à l’hôpital. Sans entrer dans le détail
de ces dispositions aujourd’hui abrogées, il faut relever que ce
dispositif visait à écarter purement et simplement de la
médecine la moitié des médecins à diplôme
étranger alors en poste. Certains d’entre eux se sont retrouvés
au chômage, d’autres ont continué à travailler en tant
qu’infirmiers ou aides soignants, d’autres encore ont perdu leur titre
de séjour(1).
Très vite, les limites de ce dispositif ont été
atteintes : postes vacants, atteinte à la continuité des
soins, entraves à l’accueil des chercheurs universitaires étrangers.
Des dispositions législatives et administratives ont alors été
adoptées pour atténuer les effets de la loi(2) et permettre
aux hôpitaux d’embaucher ou de conserver à leur service certains
médecins à diplôme étranger qui n’avaient pas
passé ou pas réussi l’examen de praticien adjoint contractuel(3).
Indésirables
Ceux qui n’avaient pas voulu ou pas pu s’inscrire à l’examen
PAC conservaient leur poste en fonction des besoins de l’hôpital
et des pratiques administratives. Mais le principe demeurait : les médecins
à diplôme étranger n’ayant pas réussi à
accéder au statut de praticien adjoint contractuel étaient
indésirables.
Devant les protestations des intéressés et consciente
des impasses du dispositif, la nouvelle majorité de 1997 a décidé
d’abroger la loi et de redéfinir le statut de ces médecins.
Pour éviter que trop de discussions s’engagent sur cette initiative,
le gouvernement a glissé le nouveau statut à l’article 60
de la loi relative à la couverture maladie universelle du 27 juillet
1999.
Cette loi, annoncée comme une rupture avec le dispositif précédent,
ne fait que reproduire des schémas anciens. Elle prohibe toujours
tout nouveau recrutement de médecins à diplôme étranger
à compter du 27 juillet 1999, sauf s’ils ont réussi l’examen
PAC. Toutefois, les médecins exerçant avant cette date peuvent
continuer à travailler à l’hôpital et changer de poste
ou de lieu de travail(4).
Mais c’est surtout le second pan de la loi – les nouvelles conditions
d’accès à l’examen de praticien adjoint contractuel – qui
retiendra notre attention ici. Le PAC reste un statut hybride, calqué
sur le précédent : contrat de trois ans maximum sans les
garanties attachées généralement au statut. De plus,
il est conçu comme une situation transitoire – un sas – vers la
plénitude d’exercice de la médecine à l’hôpital
et/ou en ville. Pour passer cet examen, il faut désormais justifier
de trois ans d’exercice à l’hôpital avant le 1er janvier 1999
en tant qu’assistant associé, attaché associé ou faisant
fonction d’interne (statuts réservés aux médecins
à diplôme étranger).
Telles sont les seules exigences posées par la loi et le décret
d’application. Un arrêté du 23 mars 2000 est pourtant venu
ajouter une condition supplémentaire : les médecins à
diplôme étranger souhaitant poser leur candidature doivent
être en possession de certains diplômes français de
spécialisation, limitativement énumérés par
l’arrêté. Il s’agit du diplôme d’études spécialisées
à titre étranger (DES), du certificat d’études spéciales
(CES), ou du diplôme inter-universitaire de spécialisation
(DIS). Ces diplômes sanctionnent une formation de spécialiste.
Cette exigence supplémentaire exclut de fait la plupart des
médecins à diplôme étranger exerçant
en France. S’agissant du DES à titre étranger, seuls les
médecins de nationalité étrangère sont susceptibles
d’avoir obtenu ce diplôme. Par conséquent, les médecins
français à diplôme étranger (la majorité,
selon les syndicats de médecins à diplôme étranger)
ne peuvent s’en prévaloir.
Quant au DIS, il faut savoir qu’à partir de 1992, l’inscription
y a été conditionnée par sa reconnaissance par
le pays d’origine du candidat. Or, certains pays n’ont reconnu aucun DIS
(par exemple l’Algérie, la Russie, la Tunisie, le Sénégal)
; d’autres n’en ont reconnu que certains (Chili, Côte d’Ivoire, Maroc)
; quant aux réfugiés, dans l’incapacité de fournir
les documents nécessaires, ils n’ont pu s’inscrire à aucun
d’entre eux. De surcroît, la période de formation (quatre
ans) n’est pas prise en compte pour le calcul des trois années d’exercice
nécessaires pour se présenter à l’examen, alors que
les médecins à diplôme étranger qui suivent
cette formation de spécialiste exercent souvent une activité
à part entière à l’hôpital. Enfin, s’agissant
du CES, la dernière session d’inscription date de 1983, ce qui se
passe même de commentaire.
Inefficace et illégal
Cet arrêté a été aussi inefficace qu’illégal(5).
En Ile-de-France, seuls 300 dossiers sur les 1500 déposés
ont été retenus. Mille deux cents médecins se sont
donc vu refuser l’accès au statut de praticien adjoint contractuel,
non parce qu’ils ont échoué aux épreuves mais uniquement
parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de les passer.
Pour justifier le dispositif mis en place, le gouvernement brandit
la question de l’aptitude et de la responsabilité médicales,
l’examen PAC étant conçu comme une vérification des
compétences. Mais les arguments ne résistent pas à
une analyse de la situation des médecins à diplôme
étranger. En effet, ces derniers exercent déjà en
qualité de spécialistes. Ils sont donc jugés compétents
pour soigner des patients, sur la base de leur diplôme étranger
et du diplôme français qu’ils ont souvent passé durant
leur carrière en France.
Pourquoi des praticiens habilités à soigner des patients
ne pourraient pas accéder au statut de médecin à part
entière ? La compétence acquise tant en France qu’à
l’étranger ainsi que les différentes expériences professionnelles
devraient être prises en compte. Et l’idée même d’un
examen réservé aux médecins à diplôme
étranger pour vérifier leurs aptitudes devient alors sans
objet. Ces médecins devraient pouvoir postuler aux mêmes concours
que les médecins à diplôme français dans les
mêmes conditions.
En toute logique, leur formation et leur compétence devraient
être reconnues.
L’arrêt de la Cour de justice
C’est ce que vient de faire la Cour de justice des Communautés
européennes dans un arrêt du 14 septembre 2000. Dans cette
affaire, M. Hocsman, ressortissant espagnol d’origine argentine, disposait
d’un diplôme en médecine argentin acquis en 1977, et avait
poursuivi des études de spécialiste en Espagne à partir
de 1980. L’Espagne avait reconnu son diplôme de médecin équivalent
au diplôme national.
En 1990, M. Hocsman est venu en France et a exercé dans des
hôpitaux jusqu’en 1995, date à laquelle son contrat n’a pas
été renouvelé en raison de la première loi
PAC. Il s’est alors retrouvé au chômage et a demandé
à exercer la médecine en France en se prévalant des
dispositions communautaires sur le libre établissement. L’autorisation
d’exercice lui a été refusée par le conseil de l’ordre
puis par le ministre de l’emploi et de la solidarité. Le tribunal
administratif, saisi par M. Hocsman, a demandé à la Cour
de justice des Communautés européennes un avis sur l’interprétation
du droit communautaire dans cette affaire.
La question posée à la Cour était en substance
la suivante : doit-on accorder le droit d’exercer la médecine à
un ressortissant communautaire alors que son diplôme de médecin,
obtenu hors de l’union européenne, n’est pas mentionné dans
la directive de reconnaissance de diplômes ? Celle-ci fixe en effet
la liste des diplômes qui permettent à tout ressortissant
communautaire de s’installer dans un pays de l’Union européenne
pour exercer la médecine généraliste et/ou spécialiste,
et ce dans les mêmes conditions que les nationaux. Le diplôme
argentin de docteur de M. Hocsman n’est, bien sûr, pas visé
par la directive qui ne traite que des diplômes européens.
La Cour indique que la situation d’un ressortissant communautaire qui
ne possède pas de diplôme mentionné dans la directive
doit être examinée en tenant compte de tous les diplômes
de l’intéressé et de l’ensemble de son expérience,
qu’ils aient été acquis dans le pays d’origine ou dans le(s)
pays d’accueil. Il faut ensuite comparer les compétences attestées
par ces titres et cette expérience avec les connaissances et qualifications
exigées par la loi nationale.
La Cour de justice recommande implicitement de confronter la durée
de la formation dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil et les
stages effectués durant cette formation avec les critères
de la directive de reconnaissance de diplôme, qui exige notamment
six années d’enseignement théorique et pratique dispensés
dans une université(6).
Un ressortissant communautaire dont le diplôme a été
acquis hors de l’Union européenne a donc le droit de faire valoir
ses titres et expériences acquis tout au long de sa carrière
afin de se voir reconnaître l’exercice plein et entier de la médecine.
La portée de cette décision est double. Tout d’abord elle
impose aux autorités françaises d’examiner l’ensemble de
la situation d’un médecin européen dont le diplôme
de docteur en médecine a été obtenu hors de l’Union
européenne.
Or, la position du ministère n’a pas changé d’un iota
depuis cette décision. Pourtant, tous les médecins communautaires
qui possèdent un doctorat en médecine extra-communautaire
devraient voir leur demande d’exercice de la médecine examinée
selon les critères posés par la jurisprudence communautaire.
La voie du PAC ne devrait pas constituer pour eux l’unique voie d’accès
à la plénitude de l’exercice de la médecine. Sur ce
point, la législation française n’est donc pas conforme au
droit communautaire.
D’absurdes discriminations
Mais, plus globalement, la CJCE pose des principes applicables à
tous les médecins à diplôme étranger. Ces principes
devraient inspirer le législateur français, cramponné
à la question du diplôme et aveugle sur les acquis de ces
médecins. La différence de traitement entre les ressortissants
communautaires et les ressortissants des Etats tiers confine à l’absurde.
En effet, un médecin communautaire bénéficie de la
plénitude d’exercice sur la seule base de son diplôme alors
qu’un médecin extra-communautaire(7) travaillant déjà
en France ne peut pas en bénéficier.
Malgré les réticences prévisibles de l’administration
française et d’une partie du corps médical à reconnaître
l’égalité des droits entre tous les médecins exerçant
en France, on peut espérer que la décision de la CJCE constitue
le premier jalon juridique et intellectuel de l’élimination des
discriminations dans le secteur hospitalier, que cette discrimination soit
fondée sur l’origine du diplôme ou sur la nationalité.
n
(1) Plein droit n° 36-37, p .82.
(2) Sur ce point voir Plein droit n° 36-37, p. 80.
(3) Circulaire NOR MESN 9830014N du 3 août 1998 et loi du 28
mai 1996, JO du 29 mai 1996.
(4) Circulaire DH/DGC/PH/PS/PM n¡99-656 du 30 novembre 1999.
(5) Un recours contre cet arrêté est actuellement devant
le Conseil d’Etat.
(6) Article 23 de la directive 93/16/CE du conseil en date du 5 avril
1993 visant à faciliter la libre circulation des médecins
et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes certificats et autres
titres. Voir l’article 24 pour les spécialistes.
(7) Les ressortissants des pays membres de l’Espace économique
européen (Norvège, Islande, Liechtenstein) sont placés
dans la même situation privilégiée que les ressortissants
des pays membres de l’Union européenne.