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Les différentes situations vécues par les médecins à diplôme étranger en France.
  par Mme le Dr. Soraya Medjbeur, médecin Attaché-associé

Je suis chargée de vous éclairer sur la situation des Médecins à Diplôme Etranger (MDE), français ou étrangers résidant en France.
A la demande du Ministre de la Santé et dans le but d'étudier le problème complexe des MDE, un rapport  a été établi par le Pr. Amiel en septembre 1997.
Ce rapport présente un tableau biaisé de la situation en ne considérant que le problème des praticiens PAC qui ne représentent qu'une petite partie des MDE. Les autres MDE, ne répondant pas au statut de PAC et constituant la grande majorité des MDE ne se reconnaissent pas dans ce rapport qui les a simplement ignorés.
Les MDE exercent pour la plupart dans les hôpitaux publics selon un statut contractuel, de FFI, attachés vacataires ou assistants associés. Ils assurent, souvent depuis de nombreuses années un service hospitalier, notamment des gardes et urgences, avec dévouement et compétence malgré un statut dévalorisant. Grâce à leur présence à des postes restés vacants car non attrayants pour les médecins diplômés CEE, ils permettent d'assurer le bon fonctionnement de nombre d'établissements hospitaliers.
Pourtant, leur situation se distingue d'une part par sa totale précarité car sans garantie de renouvellement de contrat et d'autre part par sa sous-rémunération. Pour des activités médicales identiques à celles assurées par les diplômés CEE, notamment les gardes, la rémunération est de 40 pour cent inférieure. Enfin, les fonctions qui leur sont autorisées ne leur permettent  aucune perspective d'évolution ni d'avancement  pas plus que les possibilités de formation continue offertes à leurs collègues CEE et indispensables à l'exercice de cette profession.
On peut distinguer parmi ces MDE plusieurs catégories qui pouvaient présenter des perspectives différentes en vue d'une hypothétique intégration.
La première, qui constitue la grande majorité des MDE en France n'ont pas bénéficié des opportunités ou des circonstances leur permettant de passer des examens « d'équivalence » comme on va le voir pour le groupe suivant mais néanmoins exercent régulièrement dans les hôpitaux français, la plupart du temps comme spécialistes. Les soins qu'ils prodiguent, sans distinction de ceux assurés par leurs collègues diplômés CEE, de même que le choix de leurs chefs de service et chefs d'établissement de les renouveler dans leurs fonctions sont le meilleur gage de leur compétence et doivent être considérés dans la recherche d'une solution à leur droit au plein exercice de la médecine.
Une autre catégorie de MDE, soucieux de remplir toutes les conditions pour le plein exercice, se sont conformés à l'article L-356 qui prévoit une procédure de demande d'exercice de la Médecine auprès du Ministère de la Santé. Celle-ci exige des candidats de réussir à des examens d'équivalence du diplôme français de médecine. Il s'agit du Contrôle de Synthèse Clinique et Thérapeutique (CSCT) qui est l'examen de fin de 6° année du cursus normal des études de Médecine en France et d'un oral devant un jury universitaire compétent.
Après la réussite à ces examens, l'autorisation d'exercer devrait être délivrée à ces candidats par le Ministre chargé de la Santé après avis d'une commission. Malheureusement, depuis quelques années, les quotas délivrés sont dérisoires (79 autorisations délivrées en 1997) et près de 1100 dossiers de ces médecins sont actuellement en attente, pour certains depuis plus de  10 ans.
Il faut signaler de surcroît que la majorité de ces candidats sont de nationalité française et ne représentent que 0.5 pour cent du corps médical français.
Pourtant, la compétence de ces médecins ne peut plus être mise en question. Ils exercent eux aussi, comme ceux décrits précédemment, dans les hôpitaux français et depuis de nombreuses années et ils ont obtenu l'équivalence du doctorat français de Médecine.
Signalons le cas particulier des Médecins étrangers dont le diplôme de Doctorat en Médecine est français.
Pour eux, le droit à l'exercice est également étudié par la Commission citée précédemment. Ils sont, comme les MDE victimes de l'inadaptation du quota. Pour eux, la naturalisation  devrait dénouer leur situation, mais elle leur est très souvent refusée.

Une troisième catégorie de ces médecins enfin : les Praticiens Adjoints Contractuels ou PAC.La loi du 4 février 1995, qui avait au départ pour but de résoudre la précarité manifeste des MDE, introduit la possibilité pour des MDE d'être intégrés dans le service public hospitalier, mais seulement comme contractuels, après avoir satisfait à un examen dans leur spécialité, le concours de PAC. Toutefois, pour être candidat, une condition est requise, celle d'avoir exercé au moins trois ans dans un établissement hospitalier en France à la date du 6 mai 1995.
Cette loi est en fait inadaptée car :

n d'une part, elle exclue de façon très arbitraire un grand nombre de MDE qui  n'ont pu être candidats soit parce qu'ils n'ont pas totalisé trois ans d'exercice au 06/05/1995,soit que pour divers prétextes leurs dossiers aient été rejetés.
n d'autre part, elle crée un nouveau statut précaire, discriminatoire et dévalorisant, par son intitulé aussi bien que par le vécu quotidien de ces médecins sous-payés et considérés comme de deuxième catégorie.

Finalement, après un certain nombre d'illusions nourries par certains, que l'on se soit soumis aux exigences d'équivalences du diplôme ou pas, le résultat est identique : l'on se trouve face à une situation inhumaine dans laquelle des médecins, installés en France et ayant passé une grande partie de leur vie aux études et à l'évaluation  sinon à la réévaluation de leur compétence, se retrouvent sans travail ou au mieux vacataires et socialement très précaires dans leur vie professionnelle, personnelle et familiale.
 La déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, dans son article 6 fait « tous les citoyens également admissibles à tout emploi selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Cette égalité des droits au travail devrait concerner non seulement les citoyens français mais également les non français résidant régulièrement en France. Car autant l'exigence de compétence justifiée par les préoccupations de sécurité sanitaire est bien légitime, autant celle de nationalité comporte une injustice et paraît résiduelle d'une époque révolue
 Il est vrai qu'il y a quelque chose d'incohérent et contradictoire dans cette législation qui consiste à interdire l'intégration de médecins de citoyenneté française ou résidant en France et dont la compétence et le dévouement ont été établis alors  qu'elle permet l'intégration sans condition de tout ressortissant CEE quelque soit l'origine de son diplôme et sans vérification de sa compétence
  Il y a quelque chose d'incompréhensible aussi dans cette loi qui, bien que reconnaissant le diplôme de ces médecins comme scientifiquement équivalent au diplôme français, persiste à ignorer ou dédaigner une formation médicale et une expérience professionnelle souvent de haut niveau antérieure à leur arrivée en France.
Pourquoi ce médecin, auquel les aléas de l'histoire contemporaine des peuples de ce monde ont fait choisir la France comme terre d'adoption, certes avec le sentiment d'être un privilégié, doit-il renoncer sinon effacer tous les efforts qu'il a pu accomplir avant sa venue dans ce pays ?
 Une petite parenthèse sera faite pour dire que pour les médecins ayant réussi aux examens d'équivalence, on exigera encore un certain nombre d'années d'exercice ou de services rendus en France oubliant que ces médecins pouvaient être déjà très expérimentés.
Toutes ces exigences, trouvant comme prétexte la nécessité d'une vérification acharnée des compétences, sont destinées à empêcher ou retarder l'intégration de ces médecins au plein exercice et à l'inscription à      l'Ordre des médecins et ne sont que l'expression de préoccupations corporatistes et protectionnistes.
Pour réaliser plus concrètement comment ce parcours du combattant peut être vécu par ces médecins, on pourrait tenter d'imaginer un médecin français qui,  pour des raisons idéologiques ou pour l'amour d'un pays ou d'une personne, ou pour toute autre raison car ainsi va le monde, l'humanité et sa plus récente mondialisation, ce praticien part pour le Brésil ou le Japon, s'y installe et est heureux d'en faire son pays. Il se voit refuser d'exercer le métier pour lequel il s'est tant investi pour des raisons administratives arbitraires et sans possibilité de recours. Il peut ainsi, après 10, 15 ans ou plus continuer à buter contre le même obstacle, celui stigmatisé par son péché originel :   N'avoir pas prévu, programmé, planifié le pays et l'université dans lesquels il effectuerait ses études médicales.
Dans un tel contexte, l'on ne peut s'empêcher d'évoquer une des pensées essentielles de la philosophie de Claude Lévi-Strauss et qu'il exprime ainsi :

 « Incapables à jamais d'échapper aux normes qui nous ont façonnés, nos efforts pour mettre en perspective les différentes sociétés, y compris la nôtre, seraient encore une façon honteuse de confesser sa supériorité sur toutes les autres ».


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